Tombeau pour Pierre Overney (1)

Publié le par Properce

Liminaires

Trente ans après la fin du mouvement maoïste, il n’y a plus lieu de craindre ou d’espérer la reconstitution d’une ligue dissoute de mousquetaires ; mais le temps n’est toutefois pas encore venu qu’on puisse examiner l’ordre et les raisons des opérations avec le détachement de l’historien. D’un côté, les faits et gestes de ce mouvement ont acquis, en France du moins, les traits irréparables de l’ancien. D’un autre, ils ne sont pas encore assez enfoncés dans l’histoire pour qu’on sache démêler comme dit Tacite « ce qu’il y avait de sain et ce qu’il y avait de malade, afin qu’on connaisse non seulement la péripétie et l’événement, qui sont souvent l’ouvrage du hasard, mais aussi les connexions et les causes. » Je n’aurais donc pas le propos d’un historien — comme il le faudrait sans doute pour résister à une narration de chers souvenirs dominés par le langage du journal et du roman, ces deux faces contemporaines d’un même malheur. Je ne voudrais pas tenir celui d’un universitaire, qualité qui, en France surtout, est la médaille même de ce malheur, avec l’air de la science. Je m’immisce donc entre une histoire qui n’a pas encore commencé dans la pensée, et un langage qui reste à trouver pour démêler avec le plus d’exactitude le sain, le malade, les hasards et les causes. Et si quelque chose transparaît d’une militance présente, c’est qu’il n’est pas possible d’envisager le passé autrement qu’au présent.

D’où je parle ? Voilà une question qui n’est pas forcément bienveillante, si typique d’une méthodologie maoïste à double détente : sur le fondement matérialiste des énoncés, sur l’essence sociale ou morale de celui qui prétend prendre le risque de se tromper. Je parle d’un mort ou d’une mort (à entendre comme d’une origine) : celle de Pierre Overney, ouvrier maoïste, assassiné par un esprit triste de la milice patronale de Renault-Billancourt, le 25 février 1972 à 14 h 30.
Étais-je à 500 mètres de lui ce jour-là, près de la roulotte des grévistes de la faim du Comité de lutte de Renault, ou à 800 mètres, au café « le Rex », pour organiser une grève de soutien au prolétariat local dans mon lycée, à Boulogne ? Assurément, j’étais en train de sécher. J’avais seize ans et demie. Trop jeune pour bien comprendre l’enchaînement des opérations, mais pas assez pour être innocent : je suis le Fabrice à Waterloo du mouvement maoïste. Sympathisant du Comité de Lutte de Renault, je suis devenu maoïste, peut-on dire ce jour-là, dans les jours où le mouvement maoïste lui-même, comme j’aurais ici l’occasion de le soutenir, soufflait sa propre lampe. Ayant pris si peu de galon dans une armée déjà en déroute, je parle à partir d’un mort et d’une mort, donc, mis en position d’origine, ce qui n’est point trop aisé, mais véridique. Si l’on me demande à quel titre on peut m’entendre parler dans les militances éclatées ou ponctuelles d’aujourd’hui, je dis assez régulièrement, souriant avec les sourieurs, que je suis encore maoïste, et que c’est une détermination individuelle que je ne compte pas propager comme telle, mais qui est la mienne, un point c’est tout. Le vin de la jeunesse, quel qu’en ait été le goût, on voudrait le boire toujours. Dans les temps d’assez grande misère que nous traversons, il me convient d’être bon vivant, et me croire politiquement mort, quand je vois tous les morts du gauchisme français qui ce croient vivants. Puisque je vous dit que je suis mort, je puis affirmer aussi, avec Omar Khayyam (nom de ma tendance) — maoïste (ok) —, que l’éternité politique n’existe pas.

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Publié dans Le passé impénitent

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S
Souvenirs souvenirs et plus surprise surprise, le Serge K il est le beau pére d'une Overney qui est de la famille de Pierre Overney. Mon fils Fabien est avec Leatty Overney, Leatty attend un enfant, la boucle est bouclée.
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